Tafilalt : Sijilmassa et les ksours
Par : Aboulkacem CHEBRI
Tafilalt, zone g�ographique du S-E marocain, serait linguistiquement d�origine berb�re. Cette contr�e frontali�re avec l�Alg�rie, est une zone semi-aride, c�est le pr�lude du d�sert. Deux fleuves (oueds), Ziz et Ghris, en font en revanche une oasis ininterrompue de plus de 150 km, s�par�ment le long des deux fleuves. Au pied m�me des dunes de sable dor� de Merzouga et Taouz, la palmeraie et l�eau souterraine ne font pas d�faut. Myst�re ou fait scientifique, l�eau est � quatre ou cinq m�tres dans ces dunes.
Avant �Tafilalt�, c��tait Sijilmassa. La zone actuelle de Rissani avait vu un jour de l�an 757-758 (140 H�gire) la naissance d�une ville qui fera du Maroc, des si�cles durant, le catalyseur du commerce m�di�val africain et m�diterran�en.
Sijilmassa, mot sujet � des sp�culations nourries peut-�tre par le myst�re de la ville elle-m�me, est d�origine berb�re qui signifierait le lieu qui domine de l�eau. La ville, con�ue par les Banu Midrar surplombe l�oeud Ziz, autre myst�re du Tafilalt dont les crues rappelleraient aux Filali (habitants du Tafilalt) le d�luge. Au lieu de maudire le Ziz � cause des ravages caus�s par ses inondations, les Filali adorent Ziz au point de le b�nir. La rudesse de la nature, c�est l�art d�adaptation de ces habitants qui manipulent le sol et les vents d�sertiques comme un bon footballeur, ballon au pied.

La grande Mosqu�e et sa M�dersa
Sijilmassa-Tumbuctu-Aoudaghoust-Agad�s-Gadam�s est une histoire encore vivante. Tout le monde en parle et tous les touristes la ressent. Le Paris-Dakar et autres rallyes rappellent aux gens les si�cles de gloire d�un monde o� Sijilmassa �tait le carrefour incontournable, la m�re des routes caravani�res, la desserte et le p�age des �autoroutes� commerciales, intellectuelles et religieuses du monde m�di�val (Maghreb, Afrique, Europe et Orient). Ne dit-on pas que l�or � Sijilmassa ne se vendait pas par poids mais par unit�, quelle abondance ! De nos jours, les femmes de Tafilalt, m�me les plus pauvres, portent de l�or en abondance, chose que l�on ne trouve pas chez les femmes riches du reste du Maroc. C�est l�une des survivances culturelles de l��re prosp�re de Sijilmassa. La parure en argent et surtout en or, c�est vital comme de l�air.
Sous les Almoravides, les Almohades, les M�rinides, les Sa�adiens et jusqu�aux premiers Sultans des �Alaouites, c�est-�-dire du XI�me au XVIII�me si�cles, Sijilmassa restera toujours un point d�appui pour ces dynasties, un lieu de pi�t�, un fief agricole, un centre de commerce, un grand centre de frappe de monnaie o� les monnaies sont en majorit� en or. La ville �tait �galement tellement immense qu�il fallait une demi journ�e pour faire son �boulevard� principal, nous dit un historiographe m�di�val.
Des maisons, < < villas > >, palais, mosqu�es, m�dersas (�coles des sciences religieuses), b�timents civils, administratifs et industriels, Sijilmassa de nos jours ne nous offre que des ruines qui ne manquent pas de s�duction. Les tron�ons de la muraille et ses tours, le Hammam (bain), le quartier industriel et surtout la mosqu�e avec sa m�dersa nous racontent les transactions commerciales, l�histoire des esclaves achemin�s vers l�Europe, le m�tissage des
peuples et des id�es, le passage ou le s�jour d��rudits tels que Ibn Battouta et L�on l�Africain entre tant d�autres, comme ils nous enseignent sur l�art de b�tir en pis� en adaptation sonore et thermique aux conditions climatiques pour le bien �tre des vivants.
Sijilmassa est aujourd�hui un grand chantier de fouilles arch�ologiques. Fouill�e dans les ann�es 70 par des Suisses, des Italiens, elle est entre 1988 et 1998 le cheval de bataille d�une �quipe mixte maroco-am�ricaine (Tennessee et INSAP Rabat- CERA Rissani). Les trouvailles arch�ologiques ont r�v�l� un mat�riel vari� et de rare valeur qui raconte la prosp�rit� d�une ville, ses relations avec l�Orient et l�Afrique subsaharienne, son influence sur ou par ses contr�es. Le verre de la Syrie est l�, la c�ramique du Niger aussi. La c�ramique de Sijilmassa est rencontr�e dans les fouilles en Afrique et sa monnaie fut trouv�e en France, en Jordanie et autres coins de la M�diterran�e et de l�Afrique. Merveilleuses furent les analyses des laboratoires qui ont attest� la culture de tous types d�arbres fruitiers et de produits agricoles du Haut Moyen-�ge au XVIII�me si�cle. A Sijilmassa-Tafilalt, il n�y avait pas que du dattier et le manque d�eau. Au contraire, l�agriculture �tait prosp�re, l�eau abondante. Plus encore, un r�seau de barrages sur l�Oued Ziz fut mis en valeur t�moignant ainsi du g�nie de nos anc�tres sijilmassi et filali qui continuent encore de travailler les seguias comme une p�te de g�teaux.
Les ksours, h�ritage de Sijilmassa
De l�agonie de Sijilmassa accompagn�e par le d�clin du monde musulman et de la chute des routes caravani�res au profit des routes maritimes, s'est g�n�ralis� l�habitat des ksours au Tafilalt. Ksar Tabu�samt et ksar Ab� �Am � Rissani h�riteront du commerce et de la gloire de Sijilmassa.
Le ksar est un habitat ferm� ceint d�une muraille � tours, � l�image des m�dinas marocaines. L�acc�s ne se fait que par une porte et une seule. De 100m, peu ou prou, en long et en large, un ksar est habit� par une dizaine de familles qui appartiennent, de r�gle, � la m�me tribu. Ce n�est pas le cas des kasbahs qui reviennent le plus souvent � une seule famille ou � un notable ou haut cadre du makhzen.

Ksar Oulad Abdelhlim 1847
Les ksours de Tafilalt, � l�instar de l�habitat du Sud et du Sud-Est Marocains, ce sont des masses architecturales en terre. C�est le Tabia, c�est-�-dire du pis�. La pierre n�est utilis�e que pour les fondations et peu au-dessus du sol pour question de protection contre les eaux pluviales et les inondations. Rien n�est fortuit dans ce �micro urbanisme�. L�occupation de l�espace aussi bien public que priv� est ing�nieuse. L�organisation de l�espace interne des demeures invite � sortir les armes de l�architecture, de l�arch�ologie, de la sociologie-ethonologie, de l�histoire, de la s�miologie, de la linguistique et autres sciences pour la comprendre.
Deux types de ksours redorent le blason de l�oasis de Tafilalt. Les ksours communs ou populaires et les ksours makhzaniens ou sultaniens. Cependant, certains ksours dits populaires ont �t� fond�s par le Sultan �alaouite Moulay Isma�il (1672-1727), celui qui a eu une grande �amiti� orageuse� avec Louis XIV. Sa prog�niture se comptait par centaines, c�est ce qui explique ce fait certainement. My Isma�il et ses fils et son petit-fils le Sultan Sidi Mohamed ben �Abdallah (1757-1790) avaient construit des ksours populaires tels que Labterni, Oulad Youssef, Mezguida, My �Abdallah Addaqaq, Chqarna, Mansouria, Grinfoud, kasabh Lahdeb, Azzayani, My Al Mousta�ine, ksar �Amara, Oulad �A�cha, Oulad Rehhou et autres ksours et kasbahs.

Ksar Manouga (les anciennes Tanneries)
Les Ksours Sultaniens :
Les ksours sultaniens sont l�oeuvre des Sultans �alaouites, dynastie r�gnante aujourd�hui et ce depuis l�an 1631. Les chorfas (ch�rifs) �alaouites, descendants du proph�te Mohamed, sont venus au Maroc, au Tafilalt, au cours du XIII s. Moulay Al Hassan Addakhil (l�arrivant) de Yanb�� en Arabie est venu sur invitation des Filali et a v�cu ainsi que ses descendants en tant qu�Imam, un ch�rif � la baraka que les habitants estimaient n�cessaire pour maintenir leur r�colte de dattier. Moulay �Ali Cherif, second petit-fils de My Al Hassan, avait refus� l��mirat � plusieurs reprises, pr�f�rant les �tudes religieuses, la guerre sainte et le commerce au pouvoir politique. Il fut rappel� par l�Andalousie pour y gouverner, mais il a d�clin� l�offre. C�est le grand saint de Rissani et du Maroc d�aujourd�hui, il est le plus v�n�r� des chorfas �alaouites.
L�anarchie des d�buts du XVII �me s. m�nera Moulay Cherif � l�id�e de r�unifier le pays et c�est au Tafilalt qu�il sera proclam� (1631-1640), donnant ainsi naissance, avec toutes les difficult�s du commencement, au pouvoir de la Dynastie �Alaouite au Maroc dont S. M. Mohamed VI est le 23 �me Roi.

Ksar Oulad A�cha
Les �Alaouites, originaires de Tafilalt, y attacheront une attention particuli�re. Beaucoup d�entre eux sont n�s au Tafilalt, un certain nombre y �taient gouverneurs. D�o� la floraison des ksours sultaniens. Construits entre la fin du XVII�me et la fin du XIX�me, les meilleurs exemples de ces ksours typiques sont ksar Dar al Beida (1787), ksar Abbar Al Makhzen (1830), ksar Oulad �Abdelhlim (1847) et ksar Al Fida (1854).
L�entr�e du ksar sultanien de Tafilalt, une porte en chicane (coud�e) faisant aussi �tat de tour d�angle de l�enceinte, donne sur le Grand Mechouer (grande place d�audience), o� la porte monumentale richement d�cor�e en terre ou en stuc et flanqu�e de deux tours s�impose avec majest�. Coud�e �galement, elle donne, comme au ksar populaire, sur la Mosqu�e et le puit et m�ne au petit Mechouer au centre duquel s�ouvre la porte d�cor�e de Dar Lakbira. C�est la grande maison par le sens et par son architecture. C�est le lieu du pouvoir et la demeure du gouverneur, souvent un prince.
Dar Lakbira s�articule autour d�un certain nombre de cours, dont chacune a une fonction d�termin�e, allant du public � l�intime. Un Riad surplomb� par un Menzah (Belv�d�re, Pavillon) fut une sorte de jardin exotique irrigu� par un syst�me s�culaire au Maroc dont les r�gions de Tafilalt, de Draa, de Dad�s et de Marrakech, entre autres, perp�tuent la tradition.
Les zaou�as, lieux d�enseignement religieux traditionnels et fiefs de <> soufies, font �galement la c�l�brit� de Tafilalt. Depuis le Moyen �ge, Sijilmassa-Tafilalt est un grand centre religieux. Le ch�rifisme au Maroc a donn� des milliers de saints et marabouts dont la Baraka gu�rie les malades, chasse le mal, cr�e des merveilles. La zaou�a, � la diff�rence de marabouts est un lieu de culte o� l�on fait la pri�re, on enseigne le Coran et les sciences religieuses et o� l�on a souvent une riche biblioth�que. Au Tafilalt, ces zaou�as se comptent par dizaines dont une bonne partie sont encore actives comme elle l��taient depuis des si�cles. Certaines d�entre elles conservent encore leurs biblioth�ques tr�s riches en manuscrits. Les plus c�l�bres sont la zaou�a Sidi Al Ghazi, zaou�a �Ali Al Hafiane (Al Hafiania), zaou�a Al Mate, zaou�a Sidi �Ali Bouzina, zaou�a Taghenjaout et autres.

Kasbah Azzayani (XVIII)
Pour pr�server ce patrimoine et le revaloriser, un centre sp�cialis� a �t� cr�e par le Minist�re de la Culture en 1990. Si�geant � Rissani, au coeur du Tafilalt, le Centre d�Etudes et de Recherches �Alaouites (CERA) a pour t�che l��tude de l�histoire et du patrimoine architectural du Maroc sous le r�gne de la Dynastie �Alaouite, avec une attention particuli�re au patrimoine du Tafilalt depuis la pr�histoire � nos jours.
Le CERA tient des fiches d�inventaire, r�alise des �tudes historiques et techniques, �labore des projets de restauration, g�re une biblioth�que sp�cialis�e et un mus�e arch�ologique des trouvailles du site de Sijilmassa. Il organise des expositions, des s�minaires, conf�rences, colloques, dont le plus important est l�Universit� My �Ali Cherif organis�e chaque ann�e et dont les actes sont toujours publi�s � temps et qui en est � sa onzi�me session (2-3 Octobre 2003).
Plus importants aussi, sont les travaux de restauration et de r�habilitation que le Minist�re de la Culture et d�autres intervenants tiennent dans a r�gion. Les op�rations men�es � ce jour ont concern� aussi bien des ksours sultaniens que des ksours populaires. La plus importante entreprise est la restauration du ksar Al Fida qui abritera,d�s la fin 2003, le Mus�e arch�ologique et ethnographique de Sijilmassa-Tafilalt.
Le CERA est ouvert � la coop�ration et collabore souvent � des activit�s articul�es autour de l�histoire moderne et contemporaine, autour du patrimoine, de la culture et du d�veloppement. Pour le CERA, la culture est extr�mement li�e au d�veloppement et le d�veloppement est intimement attach� � la culture, ou comme disait Jack LANG, Ministre de la Culture de l��re Mitterrand, �culture et �conomie, m�me combat�.

Merveille architecturale alaouite
(Ksar Abbar : 1830. Rissani)
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Rissani 2003
Aboulkacem CHEBRI. Arch�ologue-Restaurateur
Conservateur du patrimoine
Directeur du Centre d�Etudes et de Recherches �Alaouites � RISSANI (2000-2007).
D�l�gu� Provincial de la Culture � Errachidia (2005-2007)
E-mail : [email protected]