Le secret� par Elbachir Tanafaat
www.zizvalley.com | Le 29 / 08 / 2012 à 14:50 | Dans Cr�ations Litt�raires
Est-ce que tous les �tres humains sont toujours contents ? Évidemment non. Tous les gens ont des probl�mes qui leur taraudent. Pourtant, on trouve que les gens s�attachent vivement � la vie et cherchent � cr�er leur bonheur, � eux. Ils croient que le bonheur ne vient jamais de l�ext�rieur, c�est quelque chose interne, intime m�me, et dont sa cr�ation d�pend seulement du choix du l�individu. Ce fut longtemps que je pense que l�homme a besoin de quelque chose qui le lie � la vie, et lui rend capable de surmonter tous les d�fis qui se pr�sentent devant lui. Certains appellent ceci : l�espoir, mais cette notion enti�rement abstraite ne peut pas figurer et jouer son r�le qu�� partir d�s moment ou elle prend une forme et devient concr�te. Le sourire ne peut-il pas concr�tiser le bonheur et le cadavre ne peut-il forger l�id�e de la mort ? Cette m�ditation m�am�ne � la conclusion suivante : l�homme a besoin de l�espoir et pour que ce ait un sens il faut qu�il soit concret.
Apr�s cette cogitation, je prends la d�cision d�aller chercher mon espoir salvateur, celui qui doit me d�couvrir l�autre visage de la vie et qui va me r�concilier avec elle. Vainement mes efforts sont vou�s � l��chec m��ternisant ainsi mon errance existentielle et me livrant � un enfer perp�tuel. Cette situation d�plorable va durer jusqu� au jour ou je rencontre une voix de la radio de Tanger. Cette rencontre va constituer une rupture avec tout ce qu�il pr�c�de, va ouvrir devant moi tout un univers plein d�espoir et va m�acqu�rir une forte envie de s�enfoncer vivement dans la vie.
Ce fut une nuit de janvier, au coeur d�hiver, les examens �taient d�j� commenc�s, j��tais alors en train de pr�parer les mati�res des jours suivants, � cot� de moi la radio diffusant de belles chansons, qui me maintiennent �veill�, et m�aident � ma�triser relativement la pression d�examen, brusquement une voix ang�lique attire mon attention, une voix douce, chaude et tr�s calme, que le calme de la nuit lui ajoute une charme indicible. Inconsciemment, j�ai cess� de r�viser et mon attention s�est dirig�e vers la radio. C��tait la voix d�une animatrice d�une �mission nocturne s�intitulant � oyoun la tanam � dont la traduction en fran�ais donne : des yeux �veill�s.
Epris du style, de la langue et de la voix tr�s f�minine de cette animatrice tang�roise, j�ai entrepris de faire une qu�te autour de cette �mission fascinante. J�ai appris plus tard qu�il s�agit d�une �mission hebdomadaire, se pr�sentant chaque mardi � partir de minuit et durait jusqu�� deux heures du matin anim� par une animatrice comp�tente et talentueuse nomm�e Bahija. Ille �coute les probl�mes des auditeurs et leur propose des solutions tout ceci dans un climat familial marqu� par le calme de la nuit et le charme de voix de l�animatrice.
D�s lors une histoire d�amour est n�e me rendant ainsi un auditeur tr�s fid�le m�me fou. En fait, la nuit de mardi m�est une f�te durant laquelle toutes mes activit�s s�arr�tent. Je veille � ce que cette nuit soit un temps libre me permettant de b�n�ficier pleinement de mon �mission favorite. La diffusion de � oyoun la tanam � � une heure tardive durant la nuit m�emp�che de me concentrer le lendemain surtout que j�ai deux mati�res un petit peu scientifiques : la phonologie et la morphologie qui exigent beaucoup d�attention pour qu�ils soient comprises. Pourtant je veille. Quel attachement !!! Le d�but de l �mission m�est un moment sacr�, spirituel et indicible qui, me fait monter au monde de l�au-del�. Deviens-je soufi ? Je remarque que je ne suis pas le seul fascin� par cette �mission mais beaucoup des auditeurs me partagent la m�me �motion, en t�moin leurs commentaires faits � l��gard de l��mission. L�approche de la fin de l��mission m�est un instant tr�s attristant. C�est en vivant ce moment que je me rends compte du sens d�une citation que j�ai beaucoup employ�e dans mes analyses litt�raires : le po�te vit la pr�sence dans l�absence et l�absence dans la pr�sence. Je ne exag�rai pas si je vous dis que parfois je ressens une forte envie de pleurer � la fin de cette �mission.
Il m�arrive parfois que je m�interroge sur le secret qui se cache derri�re cette admiration et que si j�exag�re ou non. Plusieurs suppositions d�filent devant mes yeux mais aucune d�elles ne me donne une r�ponse satisfaisante. Il y a celle qui suppose que cette admiration est le fruit de la bonne �coute de l�animatrice aux pr�occupations des auditeurs, qualit� faisant d�faut au sein de nos familles et plus g�n�ralement dans notre soci�t� marocaine. Une autre renvoie ceci � la voix charmante de la jeune tang�roise ainsi qu�� ses id�es sublimes qui savent comment p�n�trer � l�int�rieur de l�auditeur et l�aider � ext�rioriser ses pr�occupations. Quant � moi, j�ai toujours consid�r� cette �mission comme une station psychique, qui me fournit de fortifiants et me maintiennent debout dans un monde tr�s agit�. La troisi�me sugg�re que cet attachement myst�rieux est l�incarnation du besoin d�affection que les psychologues appellent la frustration affective. Souffre-je d�une crise sentimentale ? C�est vrai que ma m�re m�avait quitt� quelques jours apr�s ma naissance mais elle m�avait confi� � sa grande fille qui fait tout pour moi. L�absence de la m�re, peut-elle �tre r�cup�rable ? Pas de r�ponse, par cons�quent le secret reste en suspens.
A mesure que les mardis se succ�dent une forte envie de participer � � oyoun la tanam � commence � s�affirmer. En fait, les conditions �taient tr�s favorables ; absence de la majorit� de mes fr�res et mes s�urs, pendant l�hiver le nombre se r�duit � trois. L�id�e me parait de prime d�abord irr�alisable puisque je n�ai jamais particip� � une �mission quelconque mais, et apr�s tant de h�sitation, je prends la d�cision d�y participer.
Effectivement, un mardi j�ai recharg� discr�tement le t�l�phone portable de la maison en vue de participer � � oyoun la tanam �. J��tais partag� entre la peur et la joie, la peur de vouloir acc�der � un monde inconnu et la joie de pouvoir entendre de pr�s une voix tant d�sir�e. J�ai pr�par� au pr�alable touts les sujets que j�aimerais aborder lors de mon intervention, tout ceci pour ne pas oublier aucun point. J�aimerais lui exprimer mon admiration � l��gard de son �mission et lui racontais un de mes probl�mes. Je passais toute la dur�e de la diffusion essayant arriver au studio mais en vain, les fils �taient toujours occup�s. Les mardis suivants n�apportent de nouveau. Or, J�ai d�c�d� de suspendre provisoirement toute tentative de participation. Une d�faite avec moins de d�g�ts, c�est ce que je me disais � ce moment l�.
Apr�s les examens de la fin de l�ann�e et l�arriv�e des vacances, l�attachement � � oyoun la tanam � commen�ait � se bouger de dessous des d�combres, me poussant petit � petit � repenser s�rieusement � d�autres tentatives de participation. Malheureusement, l�arriv�e d��t� apporte un changement dans la programmation des diffusions, plusieurs �missions, y compris ma favorite, ont c�d� la place � d�autres qui vont accompagner les auditeurs pendant tout l��t�. � Oyoun la tanam � s�est remplac� par une autre �mission s�intitulant � anis leil � qui veut dire en fran�ais l�ami de la nuit. Il s�agit d�une d��mission qui s�occupe de gens pratiquant des m�tiers nocturnes. Au long de deux heures, les auditeurs ont la chance de parler de leurs m�tiers, de leurs pr�occupations et les dangers qu�ils rencontrent. La voix tang�roise �tait l�animatrice de l��mission. Mon statut d��tudiant qui n�exer�ait aucun m�tier ne me donnait pas acc�s � � anis leil �. Or, j��tais devant deux solutions : se contenter d��tre un simple auditeur ou bien recourir � la ruse pour y arriver. J�ai opt� pour la seconde.
La chance me sourit cette fois. En effet, apr�s m��tre d�guis� en jeune �tudiant travaillant dans une t�l�boutique, j ai r�ussi � arriver au studio, � �changer la parole avec celle qui avait marqu� ma vie. Ma joie �tait immense. L�animatrice m�a pos� des questions li�es � mon m�tier, � la vie nocturne de la ville d�errachidia et si j��tais un auditeur fid�le aux �missions de la radio. L�influence de cette communication t�l�phonique perdure sur toute la semaine.
J�ai essay� de concr�tiser mon espoir malheureusement le r�sultat �tait inverse� je n�ai fais que m��loigner de la vie� que vivre une errance existentielle� la vie n�avait plus de sens pour moi�j�ai d�couvert que cet espoir n��tait qu�un pure illusion�maintenant je vis dans une prison nomm�e l�existence. C��tait ce que j�aimerais � raconter � la voix tang�roise ?
Elbachir Tanafaat