Pour Samlid et les autres…ce récit.
Fait-divers Amarg était assis sur la terrasse de son café préféré Tisslit, en train de lire le premier numéro du Magazine littéraire du Maroc. Un peu las, il leva la tête et tout d’un coup son regard fut frappé par une scène insolite. Un groupe de personnes, tous habillés en costumes s’assoyaient autour d’une table à la terrasse du café d’en face. Tous tenaient des téléphones portables qu’ils chérissaient apparemment beaucoup. L’un d’eux, un quinquagénaire, fumait cigarette après cigarette tout en gardant la tête baissée. Il paraissait prêter une oreille attentive à l’autre, un quadragénaire chauve. Ce dernier gesticulait nerveusement, montrait du doigt on ne sait quoi. De temps en temps venaient et partaient d’autres jeunes hommes après s’être mis au garde à vous. Il comprenait alors que ces personnes là et plus particulièrement l’homme au complet et aux chaussures noirs, le quadragénaire chauve, était un homme très important. Cela a attiré encore plus son attention, c’est surtout sa curiosité qui est attisée, car c’était rare où l’on voyait pareilles gens dans sa petite ville. Il circula son regard et il constata qu’il n’était pas le seul spectateur, d’autres gens regardaient aussi ces personnes, si ce n’était pas attentivement c’était furtivement. La scène allait être banale pour lui quand tout à coup il aperçut une autre personne, pas rassurés, qui avançait vers la table. C’était un enfant d’une douzaine d’année. C’était un enfant de la rue. Un enfant cireur. Amarg a appris par la suite que les autres enfants cireurs, car il y’en avait plusieurs dans cette ville, le surnommaient Samlid et qu’il était élève de la première année du collège. Il avait vu qu’il portait un tricot beige tacheté de noir et un pantalon, lui aussi devenu noir. L’enfant portait sous son aisselle une boîte en bois, elle aussi toute noire, qu’il tapotait de temps en temps de coups avec une brosse en vue d’attirer l’attention de nouveaux clients. Comment allaient – ils réagir en voyant cet enfant qui, courageusement, s’introduit au sein de leur QJ pour leur proposer ses services ? Ne voyait –il pas qu’ils étaient tout à fait différents, que leurs figures n’étaient pas familières ? Se disait Amarg. Il avait eu peur qu’il soit méchamment chassé surtout de la part de ces subalternes qui couraient par ci et par là en vue de satisfaire les demandes de celui qui semblait être le patron ; au moment où l’un allait chercher le serveur, un autre se hâtait pour aller apporter de l’eau minérale, du Sidi Ali de chez l’épicier qui se trouvait juste à côté de Tislit. Heureusement ! L’intrus fut bien reçu. L’homme, le quadragénaire chauve, sans prendre la peine de le regarder, lui tendait le pied droit. Alors, le petit enfant, content d’avoir trouvé du travail, s’agenouilla, chercha au fond de sa boîte et trouva enfin une cire dont la couleur conviendrait à celle des chaussures de notre homme. Il se mettait tout de suite à enduire la première chaussure, mais, geste admirable ! Une fois cette tâche finie, il tapa, moyennant toujours sa brosse, d’une manière rythmique sur le côté gauche de sa boîte. L’homme, toujours occupé, paraissait quand même comprendre ce signe et obéit au langage de l’enfant ; aussi replia-t –il le premier pied tendu pour allonger l’autre. Ces actions s’étaient répétées au moins quatre fois car l’enfant cireur devait, après avoir enduit les chaussures, les frotter d’abord par une brosse propre et ensuite par un chiffon. Les chaussures devraient être à la fin brillantes. Les hommes s’entretenaient, mais l’homme chauve laissait échapper des gestes de nervosité. Il n’était pas content ou n’était pas satisfait du tout. Une fois le travail fini, le petit cireur proposa ses services aux autres, Amarg remarqua qu’ils n’avaient même pas répondu ni par oui ni par non. Ils prêtaient oreilles attentives à ce Monsieur qui paraissait leur donner des consignes précises. Le petit, étant habitué à ces comportements d’indifférence, se leva, mit sa boîte sous son aisselle droite. Il demeura ainsi pendant de longs instants. Il attendait son argent mais l’homme chauve continuait à adresser ses consignes à ses hommes. Soudain, le quinquagénaire, qui s’aperçut de la présence de ce cireur intrus, lui ordonna de partir. Le petit refusa. Il insista même. Il ne parla point, mais plusieurs fois il montra de sa main, tenant la brosse noire, les chaussures devenues belles. On comprit enfin ce qu’il voulait. L’homme important, indifférent et insoucieux, se mit tout de suite debout pour répondre à un appel téléphonique, toutes les personnes présentes mirent en même temps la main à la poche pour chercher quelques pièces. C’est le quinquagénaire qui réussit le premier à arracher une feuille de cinquante dirhams, la tendit à un autre, un subordonné, et lui demanda d’aller chercher la monnaie. Ce dernier, sans hésiter, tint cet argent et se dirigea à nouveau vers l’épicier. Tout de suite, il revint, donna quelques pièces au petit cireur et rendit le reste à son chef. L’enfant, compta les quelques dirhams puis partit enfin. D’une table à l’autre et d’un café à l’autre, il proposait de cirer les bottes aux gens. Pendant ce temps là, l’homme chauve parlait au téléphone, continuait à parler, marchait et parlait. On crut que sa communication était interminable. Et les autres, le dos demi courbé, immobiles, attendaient. On vit même qu’ils ne parlaient pas entre eux. On les vit tous se mettre debout tout de suite. Car l’homme rangea abruptement son téléphone portable, fit demi-tour et revint, à pas rapides, vers eux. En ce moment là, le chauffeur qui était aux aguets, ramena la voiture noire. Notre homme lança quelques mots au quinquagénaire et se dirigea vers sa 4x4. Tout le monde lui souhaita bonne route. En allant quitter les lieux, nos autres hommes furent surpris par le serveur du café qui, ayant rangé la table, pointa droit devant eux…
Amarg rouvre le mlm à la page trois et son œil fut attiré par le texte Lettre aux Lecteurs. Au moment où il lisait : « Le Maroc bouge, Le Maroc veut vivre au diapason du reste du monde ; Les Marocains, comme les autres, ont besoin de la prospérité économique, ils aspirent à une vie culturelle épanouie», il entendit une petite voix qui lui disait : « tu veux cirer ? ». Sans lever les yeux, il ferma la revue et partit chez lui.
Abdelkbir Jourji
BRAVO
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